Les écrans, nouveaux prédateurs de l'humanité ?

En France, 2,85 millions de 15-34 ans ne sont ni scolarisés, ni en formation professionnelle, ni au travail. Nous en connaissons tous : ils passent pour la plupart leurs journées – et bien souvent leurs nuits – sur écran (smartphone, ordinateur, console de jeux, tablette, télévision) et ne font quasiment rien d’utile : ni sport, ni engagement associatif. Leur participation aux tâches ménagères est loin d’être à la hauteur du temps libre dont ils disposent.

Quand les parents qui les hébergent ou les aident financièrement auront disparu, que deviendront-ils ? Ils se retrouveront à la rue, avec un cerveau imbibé par la violence des jeux vidéo et des séries Netflix,[1] entre autres.

Chaque jour en 2018, deux millions de personnes [2] dont deux-tiers de 15-34 ans (!) ont regardé un service de vidéos sur abonnement. Comme les abonnés peuvent donner leurs codes d’accès, l’impact de ces séries sur la société dépasse le nombre d’abonnés : une personne sur cinq utilise les codes d’un proche.

Il s’agit d’une véritable bombe humaine en puissance. L’hebdomadaire Marianne[3] a consacré sa Une à ces jeunes désœuvrés, mais sans évoquer la corrélation entre ce désastre et sa principale cause : le temps sacrifié aux écrans par cette génération depuis l’enfance.

Il y a des points communs entre le Linky et les écrans : ce sont des instruments de surveillance massive [4] qui émettent des ondes électromagnétiques ayant des effets physiologiques nocifs pour la santé. L’objectif des pouvoirs publics est que 100 % de la population en soit équipée alors que la reconnaissance officielle de la nocivité des ondes qu’ils émettent en permanence, même en dehors de toute utilisation, est établie depuis 2001 pour les basses fréquences [5] et depuis 2011 pour les radiofréquences et les micro-ondes.[6]

J’ai publié mes premières alertes sur les jeux vidéo en 2007, après avoir recueilli les témoignages de parents dont les enfants étaient déjà addicts, et observé directement leur emprise très rapide sur le caractère et le comportement des fils d’une amie, qui étaient auparavant gentils et attachants, et ont changé en quelques mois après avoir commencé à jouer. En 2004, le “grand” de 11 ans jouait, pendant que le “petit” de 8 ans regardait par-dessus son épaule.

Actuellement, les séries Netflix, ciblant autant les filles que les garçons, et autant les enfants et les ados que les adultes, s’ajoutent aux jeux vidéo, et peuvent être visionnées en continu de jour comme de nuit, n’importe où, sur smartphone, tablette ou ordinateur portable. Nous sommes loin du temps où il fallait être dans son salon, devant la télévision, pour voir le nouvel épisode mensuel d’une série comme Columbo.

C’est en écoutant en 2018 des parents désemparés que j’ai pris conscience de l’ampleur des dégâts actuels et futurs provoqués par l’omniprésence
des écrans.

En 2008, il y a onze ans, mes alertes avaient provoqué le haussement d’épaules d’un père : “Il faut bien que mes fils jouent aux jeux vidéo comme leurs copains, sinon ils vont être isolés.”

Dix ans plus tard, en 2018, le même père se désolait : “Je suis désespéré. Il aurait fallu ne jamais commencer !” L’un de ses fils, 20 ans, a raté deux années de fac successives dans deux filières différentes en passant 50 heures par semaine sur des jeux vidéo gratuits en ligne. À la rentrée 2018, Parcoursup l’a laissé sur le carreau. Depuis lors, bien qu’il ait annoncé vouloir passer son permis, il n’a toujours pas commencé le code et aurait été livré à lui-même si son père ne l’avait pas fait un peu travailler dans son commerce.

C’est un exemple parmi tant d’autres… Pour avoir dialogué avec les parents d’ados et d’enfants de tous âges, je peux vous dire que de très nombreuses familles suivent des tendances et des trajectoires similaires.

Avant que s’installe l’addiction, le temps passé sur écran s’accroît inexorablement avec l’âge. L’emprise des écrans augmente à mesure que l’emprise des parents diminue. Plus tôt les enfants sont sur écran, plus l’addiction survient rapidement et puissamment.

Les parents de jeunes enfants n’anticipent pas ce moment où ils perdront tout contrôle. Ils croient “gérer” les écrans parce que leurs enfants s’arrêtent quand ils le leur disent. Mais entre 14 et 16 ans, quelquefois plus tôt ou plus tard, les ados échapperont à leur emprise au moment où s’installera l’addiction, l’usage compulsif irrépressible.

Quel est le lien entre les écrans et la baisse préoccupante du niveau scolaire ?

Une surveillante d’étude dans un collège public de 650 élèves m’a confié que 20 élèves sur 25 ne mettent aucune ponctuation, ce qui rend leurs écrits incompréhensibles. Et une maman dont le fils de 10 ans vient d’être diagnostiqué “dyslexique” m’a affirmé que dans son collège, en 2019, la moitié des élèves de sixième bénéficient, comme lui, d’un “projet d’accueil personnalisé” en raison de difficultés d’apprentissage !

En 2013, élève sur trois[7] arrivait au collège (11 ans) sans maîtriser les fondamentaux de la lecture, de l’écriture et du calcul. Mais depuis la quasi suppression du redoublement, ses parents pouvaient ne pas se rendre compte de la gravité de son retard dans l’acquisition de ces fondamentaux.

Bien des parents se sentent rassurés parce que leur enfant a une note moyenne de 10 ou 12 sur 20, mais la valeur des notes n’est plus la même que lorsqu’ils étaient eux-mêmes élèves !

Quand le meilleur de la classe obtenait jadis une note de 14 sur 20, écoper d’un 12 était honorable. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les livres des anciens élèves sont devenus les supports de cours des professeurs d’aujourd’hui. C’est dire si le niveau général a baissé !

Pour compenser faussement le fait que les élèves n’arrivent plus à apprendre, les acquis attendus à chaque âge sont désormais flous et évasifs. Par exemple, l’apprentissage de la table de multiplication de 2, qui en 2008 était abordé au cours préparatoire (CP, 6 ans) n’est plus mentionné en 2018 à aucun niveau dans les programmes officiels (du CP à la 6ème, 6-11 ans). Si les élèves ignorent les tables de multiplication, ils devront toute leur vie compter sur leurs doigts ?

À titre d’exemple, la comparaison, à dix ans d’écart, des programmes du CM2 (cours moyen deuxième année, 10 ans) est édifiante. La version 2008 des programmes de l’Éducation nationale énumérait précisément et concrètement les savoirs à acquérir, tandis que la version 2018 mentionne des “compétences travaillées” sans indiquer aucun objectif concret de résultat.[8]

En histoire et géographie aussi, les lacunes sont béantes. Une prof m’a raconté comment un élève de 3^ème (15 ans) avait confondu Staline avec Hitler sur une photo de la conférence de Yalta (février 1945). Cet élève issu d’une famille fortunée étudie dans une institution privée. Cette anecdote pourrait être prise à la légère si elle n’était le reflet de l’océan d’ignorance dans lequel baigne ce jeune cerveau, comme tant d’autres.

À moins d’être surdoué, il est impossible d’acquérir correctement les fondamentaux en consacrant chaque jour une à deux heures aux écrans. Mais cela, la plupart des parents ne le savent pas.

La lecture de livres papier est l’antidote aux écrans. Mais comment susciter le goût de lire ?

Un élève qui ne prend pas plaisir à lire est une proie facile pour les écrans.

La maîtrise de la lecture et de l’écriture, qui s’apprennent de pair, exige des heures d’entraînement assidu. Elle est indispensable pour que surgisse le plaisir de lire, qui est l’une des conditions de la réussite scolaire.

Le plaisir de lire seul surgit grâce à la combinaison des efforts personnels et de premières lectures judicieusement choisies [9] pour attiser la curiosité qui donne l’envie – et le courage ! – de terminer un livre.

Mais si l’enfant a pris l’habitude des écrans avant de prendre plaisir à la lecture, le plaisir facile du jeu vidéo ou du visionnage de séries prendra toujours le pas sur le reste.

Cet engrenage fatal commence tôt : si le plaisir facile des écrans ôte à l’enfant le goût de l’effort nécessaire aux apprentissages, c’est aussi à cause de la précocité de l’exposition, pourtant encouragée par la recommandation officielle “3-6-9-12” affichée dans les cabinets des pédiatres et pédopsychiatres. C’est pourquoi il est urgent que tous les professionnels de l’enfance cessent de se référer à cette recommandation.

Il faut que les fondamentaux de la lecture, de l’écriture, du calcul et de l’histoire-géo soient solidement acquis ET que le plaisir de lire soit présent avant tout usage solitaire d’un écran.

Si les dirigeants des entreprises de la Silicon Valley et autres GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) interdisent les écrans à leurs propres enfants[10] avant la classe de 4^ème (14 ans), c’est parce qu’ils le savent pertinemment. Tous les parents devraient faire de même.

C’est indéniable. Depuis la rentrée 2019, trois enseignantes de maternelle (3-5 ans) ayant une quinzaine d’années d’expérience et qui interviennent dans des établissements différents m’ont rapporté des témoignages similaires très préoccupants :

“Il y a quelques années, nous avions un à deux élèves par classe qui étaient en grande difficulté, aujourd’hui, c’est la moitié.”

“Ces enfants connaissent toutes les lettres de l’alphabet et les couleurs, même en anglais, mais ils ne comprennent pas ce qu’on leur dit !”

“J’ai un élève de quatre ans qui sait déjà lire. Au début, je croyais qu’il était surdoué, mais je me suis aperçue que, quand on lui pose une question, il répond n’importe quoi. Rien n’a de sens pour lui. C’est très déroutant. C’est la première fois que je suis confrontée à cela.”

“Cette année à Noël, presque tous les quatre-ans ont reçu une vraie tablette.”

Si un jeune enfant connaît les couleurs en anglais, c’est qu’il les a apprises sur tablette, une vraie ou un jouet, dont regorgent les catalogues diffusés dans toutes les boîtes aux lettres avant les fêtes. Mais, comme je le révèle dans la vidéo “Alerte Jouets de Noël”, apprendre à lire avec un clavier ou sur un écran tactile empêche le développement des circuits de la lecture dans le cerveau des enfants. Pour que ces circuits se mettent en place, il faut que l’enfant écrive les lettres sur un papier, à la main et avec un stylo !

Ce qui interpelle, c’est l’ampleur du phénomène observé par les enseignants depuis la dernière rentrée scolaire. Les observations quantitatives des enseignants doivent être prises en considération car ils sont en contact avec l’intégralité d’une classe d’âge. Tandis que, sachant que tous les enfants ne se développent pas au même rythme, les parents ne s’inquiètent pas lorsque leur enfant présente un retard de développement.

Par ailleurs, plusieurs enseignants de maternelle exerçant dans différentes régions de France m’ont révélé avoir vu des enfants mimer des actes de sodomie. Cela signifie qu’ils ont déjà été exposés à des images pornographiques !

Dans les familles, ce sont les grands-parents qui s’étonnent : le grand-père d’une fillette de 2 ans et demi m’a raconté comment sa petite-fille, quand elle voit une image imprimée sur un livre papier, met son doigt dessus avec le geste de faire défiler l’image comme s’il s’agissait d’une tablette ou d’un smartphone.

Une autre fillette de 2 ans, selon sa grand-mère, fait le même geste quand elle a entre les mains un ancien téléphone portable sans image.

Dans les cours de récréation des collèges (11-15 ans), les élèves se tarabustent, s’insultent. Le personnel le sait, mais pas les parents. Cette violence “ordinaire” est tout aussi taboue que le harcèlement qui pousse certains élèves au suicide.

Il ne faut pas s’étonner si la violence dont les jeunes cerveaux s’imprègnent par les écrans s’extériorise ensuite dans les établissements scolaires par le harcèlement entre élèves et l’indiscipline à l’égard des adultes.

Je ne suis pas la seule à tirer la sonnette d’alarme. Des scientifiques comme Michel Desmurget, directeur de recherche en neurosciences à l’Inserm et auteur de TV Lobotomie,[11] dont je recommande vivement la lecture, ont largement démontré l’impact négatif de la violence des images véhiculées par les écrans. Plus de 1 000 études publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture, qui en établissent la preuve incontestable, sont inventoriées et présentées de façon accessible.

Dans son dernier livre paru en septembre 2019, La fabrique du crétin digital, il enfonce encore le clou.

Et surtout depuis trois ans, le docteur Anne-Lise Ducanda et la psychologue clinicienne Sabine Duflo, qui sont en contact avec des enfants en difficulté, ont lancé l’alerte sur l’effet préjudiciable de l’exposition aux écrans des tout-petits. Elles dénoncent, tribunes dans la presse et films à l’appui, à quel point cela peut entraver leur développement : retard d’acquisition du langage, troubles de l’attention, comportements d’allure autistique...

Selon ces spécialistes de la santé de l’enfant, la preuve que ces troubles sont bien causés par les écrans est qu’ils se résorbent dès lors que les parents substituent au temps sur écran les interactions et la stimulation par eux-mêmes ou par la fratrie. Le développement des jeunes patients est alors rapide et spectaculaire, en quelques jours, semaines ou mois, comme cela est montré dans le reportage diffusé par Envoyé Spécial le 18 janvier 2018.

Sabine Duflo a consigné ses observations dans son livre Quand les écrans deviennent neurotoxiques, paru chez Marabout en octobre 2018, dont je recommande également la lecture, notamment à ceux qui trouvent mes propos exagérés ou qui considèrent que je manque de légitimité parce que je ne suis pas une professionnelle de santé.

Forte de leurs expériences répétées et en s’appuyant sur de nombreuses études, Sabine Duflo et Anne-Lise Ducanda ont fondé le Collectif Surexposition Écrans (CoSE) qui a rédigé une charte signée par 3 000 professionnels.

En mars 2019, j’ai envoyé à Sabine Duflo une première version de cette interview, qu’elle a trouvé “courageuse”, puis nous avons échangé nos livres en avril. Après lecture, son commentaire a été : “Vous avez de bonnes idées.” Ce qui est important, c’est que sans nous connaître et par des voies différentes, nous sommes arrivées aux mêmes conclusions !

Dans toutes les classes sociales, de nombreux parents qui furent eux-mêmes “babysittés” par la télévision sont eux aussi devenus addicts aux écrans. Pour le travail ou les loisirs, ils y passent soirées et week-ends, et leurs enfants / ados ne font que les imiter, mais en amplifiant le phénomène. Avec des conséquences qui peuvent être désastreuses.

Les parents qui se souviennent des programmes télévisés “gentillets” qui ont accompagné leur enfance n’ont pas idée de la violence des programmes conçus pour les enfants et les adolescents aujourd’hui. Or cette violence a un effet irréversible : elle les insensibilise. Elle devient “normale”, il leur en faut toujours plus.

Pourtant, le cerveau humain n’est pas seulement friand de violence. J’en veux pour preuve que la séquence télévisée la plus regardée dans le monde en 2018 a été le mariage du prince Harry avec Meghan, qui a attiré près de 2 milliards de téléspectateurs. Leur amour ressemble à un conte de fée : un prince, mauvais garçon et adepte du salut nazi dans sa jeunesse, épouse une métisse. Un beau message de transformation personnelle et de tolérance, qui enchante les cœurs !

La génération “babysittée” par la télévision a engendré les générations “babysittées” par les consoles de jeu, puis par les ordinateurs, puis par les smartphones et les tablettes.

Une fois devenus parents, certains préfèrent aujourd’hui leurs écrans à leurs enfants : ils délaissent l’éducation, ne transmettent pas tout ce qu’ils ont eux-mêmes reçu de leurs propres parents, contrairement à ce qui se pratiquait depuis la nuit des temps. C’est d’autant plus grave que c’est irréversible : ce qu’un individu n’a pas reçu pendant l’enfance, il ne pourra pas le donner une fois devenu parent.

Beaucoup de parents n’osent plus imposer quoi que ce soit à leurs enfants dès lors qu’ils sont devenus majeurs (18 ans). Mais le cerveau humain, de nos jours, n’est pas mature avant l’âge de 25 ans.[12]

Même les frères et sœurs ne communiquent plus ensemble. Chacun des membres de la famille, isolé devant son écran personnel, choisit son propre univers fictionnel. De nombreux parents ne savent pas ce que regardent leurs ados, et vice-versa. La coupure peut être totale.

Il est loin, le temps où les familles qui voulaient se faire plaisir avec un film ou un dessin animé devaient sortir ensemble au cinéma, dont le grand écran permet une immersion qui procure une sensation inégalable, ou se retrouver devant la télévision pour visionner une vidéo. Ces moments en commun resserrent les liens en créant une expérience chaleureuse et positive, source de souvenirs partagés et de sujets de conversation.

Si l’on comparait le budget “écrans” des familles d’aujourd’hui, incluant les abonnements et l’achat des équipements, au budget “TV + téléphone + loisirs” des familles avant la déferlante des écrans et d’Internet, on constaterait que ces derniers font exploser ces dépenses désormais considérées comme “contraintes”, c’est-à-dire indispensables au même titre que la nourriture ou le loyer, et qui constituent une part de plus en plus importante du budget des ménages au détriment des autres loisirs et du tourisme (entraînant par exemple une réduction de la durée des séjours de vacances).

Le numérique “éducatif”, en vertu duquel les départements et les régions dépensent des centaines de millions d’euros pour équiper d’ordinateurs portables les collégiens et les lycéens, n’est qu’un leurre.

Premièrement, il est impossible de contrôler si un ado qui dispose d’un ordinateur portable personnel 24h/24 l’utilise pour des jeux vidéo ou pour regarder de la pornographie. Les parents pourraient mieux surveiller l’usage en temps partagé sur un ordinateur familial fixe.

Deuxièmement, ainsi que je l’ai démontré dans des vidéos,[13] les écrans émettent des ondes électromagnétiques de basses fréquences et des micro-ondes. Ces ondes, qui provoquent un efflux des ions calcium au niveau cellulaire [14] empêchent la libération de l’acétylcholine, le neurotransmetteur de l’attention, la mémorisation et l’apprentissage. Non seulement cela bloque la mémorisation immédiate de nouvelles connaissances, mais en plus, cela détruit à terme les capacités d’apprentissage.

Troisièmement, les effets des nouveaux écrans pour amoindrir ainsi l’intelligence sont d’autant plus puissants que, contrairement à la télévision qui implique une certaine distance, ils nous exposent de façon rapprochée à moins de 50 centimètres. Nous posons les doigts dessus pendant leur utilisation durant des périodes prolongées et, dans le cas du smartphone,[15] leurs détenteurs le gardent en continu avec eux, et sur même eux.

Quatrièmement, l’acétylcholine est sécrétée naturellement lors des mouvements physiques du corps. Mais l’usage d’un écran rend sédentaire et immobile.

Et cinquièmement, l’exposition aux écrans réduit la durée et la qualité du sommeil en raison de la suppression de la sécrétion de mélatonine,[16] l’hormone qui induit naturellement le sommeil. Or, chacun sait désormais que c’est pendant le sommeil que les apprentissages sont consolidés dans le cerveau.

Toutes ces connaissances scientifiques sont aujourd’hui bien établies et mon travail de journaliste scientifique a consisté à établir des liens entre ces différents domaines, que j’ai déjà explicités dans mes différentes publications.[17]

L’échec scolaire provoqué par l’usage précoce des écrans peut aller jusqu’au décrochage avant l’obtention d’un diplôme ou l’apprentissage d’un métier. Mais les auteurs des rapports sur les 100.000 décrocheurs scolaires annuels supplémentaires se voilent la face : les mots “jeu vidéo” ne figurent ni dans leurs analyses de la situation, ni dans leurs préconisations.[18]

Pourtant, sans formation professionnelle ni métier, trouver un travail intéressant et bien payé est quasiment impossible de nos jours. En raison du chômage qui sévit en France du fait de la délocalisation de la production des biens consommés dans l’Hexagone, seuls les diplômés peuvent décrocher un bon emploi, quand ils sont pugnaces et/ou pistonnés.

Pour la génération qui a commencé l’usage solitaire de l’écran entre 8 et 15 ans, les chiffres précités sont déjà alarmants. En 2005, 80 % des enfants de 8 ans avaient une console de jeux vidéo dans leur chambre. Qu’adviendra-t-il des enfants qui, aujourd’hui, sont sur tablette dès 3 ans, ou même avant ?

S’agissant de l’augmentation des cancers, lorsque j’incrimine les effets des ondes et des écrans, on me rétorque “pesticides”, “produits chimiques”, “vieillissement de la population” et “meilleur diagnostic”.

C’est oublier que 150 000 personnes de moins de 65 ans sont mortes d’un cancer en 2017, soit l’équivalent de deux Stade de France presque pleins. C’est 32 000 décès de plus qu’en 1995. Si l’augmentation de ces décès dits “prématurés” était due à un “meilleur diagnostic”, cela signifierait que ce sont les traitements qui ont tué nombre de “cancéreux supplémentaires” qui n’auraient pas été diagnostiqués en 1995.

Le professeur David Khayat, qui dirige aujourd’hui l’Institut international de cancérologie de Paris, après avoir fondé et dirigé pendant un an l’Inca (Institut national contre le cancer), est content de lui. Il a osé publié un livre intitulé : L’enquête vérité : vous n’aurez plus jamais peur du cancer (éditions Albin Michel), et il a organisé pour la dix-neuvième fois un gala au château de Versailles pour 750 invités, dont des têtes couronnées, des hommes politiques, un chirurgien esthétique et Miss France 2019.[19] Mais bien sûr, aucun malade n’était présent ! À défaut d’inverser la courbe du cancer, récolter des fonds pour la recherche donnera toujours des résultats sonnants et trébuchants.

Pourtant aujourd’hui, en raison de cette mortalité prématurée, un demi-million d’enfants français sont orphelins de mère ou de père. Il n’y a pas de quoi pavoiser…

S’agissant de l’échec scolaire galopant, quelle autre cause que l’usage des écrans va-t-on invoquer ? Il est très facile d’incriminer les enseignants, les programmes ou les méthodes d’enseignement. Mais la vérité, c’es que les méthodes et les programmes ont été modifiés parce que les élèves n’arrivaient plus à apprendre. Ce constat est fait depuis longtemps. Faute d’avoir posé le bon diagnostic, à savoir la responsabilité des écrans, on a eu beau alléger les programmes, changer les méthodes d’enseignement, supprimer les notes ou relever le niveau requis pour devenir enseignant, tout cela n’a pas permis d’enrayer le phénomène, qui ne fait que s’aggraver, comme le démontre l’étude Pisa.[20]

Il est indéniable que les enfants qui ne bénéficient pas d’aide à la maison au moment de l’apprentissage des fondamentaux doivent fournir plus d’efforts pour atteindre la réussite scolaire, que cette absence d’aide provienne du faible niveau de leurs parents ou de leur méconnaissance de la langue française. Mais la plasticité cérébrale chez l’enfant est telle que la majorité parvenait à surmonter cette difficulté avant l’introduction des écrans.

La maîtrise d’une langue, qui est l’une des conditions de l’intégration sociale, requiert un long temps d’étude. Les écrans sont des voleurs de temps, au détriment de l’apprentissage et du sommeil qui est son corollaire indispensable. C’est pourquoi la panne de “l’ascenseur social” leur est en grande partie imputable.

L’introduction des tablettes dès l’école primaire, actée en 2013 par la loi de refondation de l’école, est l’exact contraire d’une solution, pour les raisons évoquées précédemment.

En 2013, avant le vote de la loi sur la refondation de l’école qui instaurait la distribution de tablettes à partir de 6 ans, à tous les écoliers, j’ai écrit à tous les parlementaires, députés et sénateurs.

Je leur ai envoyé par mail le dossier Le coût d’État des gadgets sans fil.[21] J’ai également envoyé ce dossier aux ministres de l’Éducation nationale Vincent Peillon [22] et Benoît Hamon,[23] qui en ont accusé réception mais sans infléchir d’un iota ce funeste projet. Heureusement, les communes censées faire l’acquisition des 7 millions de tablettes et des 300 000 tableaux numériques interactifs qui en sont l’indispensable complément n’ont pas les moyens de les acheter...

En décembre 2018, j’ai écrit au président de la République Emmanuel Macron et à sept de ses ministres, dont celui de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Ils n’ont pas réagi. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a répondu qu’il transmettait au ministre de la Transition écologique, François de Rugy, qu’il savait pourtant déjà être l’un des destinataires directs de mon courrier. Ce dernier est également resté muet. Et la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a fait répondre par sa chef de cabinet Marie Argouarc’h qu’elle lui avait “confié le soin de signaler [ma] démarche au directeur général de la santé [Jérôme Salomon] et d’adresser une copie à la mission en charge du Grand débat national.”

Exactement ! Et Madame Buzyn vient de quitter son poste sans avoir agi. Il est si facile de quitter la place sans avoir utilisé le pouvoir dont on disposait pour régler les problèmes qui déchirent la société !

Les ministres de la Santé et de la Famille, les agences comme Santé Publique France (issue de la fusion de l’Institut de veille sanitaire et de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, Inpes) et l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), les neuroscientifiques, les pédagogues, les professionnels de santé devraient monter au créneau pour protéger les générations montantes avant que la France ne s’effondre sur elle-même à cause de toutes les attaques dont le cerveau des enfants et des jeunes fait l’objet en raison de l’omniprésence des écrans. Mais ce n’est pas le cas.

N’attendons donc pas de solutions des responsables politiques, ni de ceux qui sont payés pour gérer la santé publique en France : elles ne viendront pas. Comme pour le compteur Linky, il faut que l’information circule entre les citoyens.

Nous devons tous aider les parents à prendre conscience de l’impérieuse nécessité de soustraire leurs enfants à l’usage solitaire des écrans, et ce au moins jusqu’à l’obtention du premier diplôme. Non pour les punir, mais pour les protéger. Dans certaines familles, la privation des écrans est utilisée comme punition, mais il s’agit véritablement d’une protection !

Il faut aussi boycotter les services de vidéos sur abonnement. Les séries Netflix, conçues avec l’aide d’algorythmes et de l’utilisation de cobayes humains dont les réactions face aux images sont enregistrées et analysées pour concevoir des contenus encore plus addictifs, nous précipitent dans une spirale sans fin de violence fictionnelle.

Les dégradations matérielles qui ont émaillé le mouvement Gilets Jaunes démontrent que le niveau de violence dans la société française augmente.

Je l’ai déjà dit et je le répète : le numérique éducatif n’est qu’un leurre. Une banque [24] propose des cours de soutien scolaire en ligne gratuits pendant un an à ses clients sous réserve qu’ils ouvrent un compte bancaire pour leur enfant. C’est une honte, un monstrueux piège commercial qu’il faut dénoncer partout, vigoureusement !

L’apprentissage des fondamentaux se transmet d’un cerveau à un autre. Seul un individu ayant déjà acquis des stratégies d’apprentissage et de solides connaissances dans un domaine peut tirer profit de cours en ligne.

C’est pourquoi j’invite tous ceux qui connaissent des enfants et des jeunes exposés aux écrans à se procurer le livre J’aide mes enfants à décrocher des écrans, à le lire et à le transmettre autour d’eux, aux parents et grands-parents, et aux jeunes adultes eux-mêmes. Ce livre ne coûte que 12 euros et propose des solutions pratiques, utiles, et une méthode pour l’action.

Pour un enfant ou un ado déjà soumis aux écrans, on peut vraiment repartir du bon pied en suivant les conseils du livre J’aide mes enfants à décrocher des écrans. La lecture de ce livre aidera les parents à regarder la situation en face, à transformer en courage leur défaitisme ou leur désespoir, à déculpabiliser et à tenir bon.

Il est indispensable que les parents s’impliquent, par exemple en pratiquant avec l’enfant ou l’ado la lecture à voix haute des livres ou des bandes dessinées conseillés, correspondant à son niveau de lecture, jusqu’à ce s’enclenche le désir de lire seul. Il faut mettre les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu dans toutes les matières comportant des lacunes en utilisant les cahiers de vacances disponibles en librairie. Cela demande certes des efforts, mais c’est certainement moins pénible que de se résigner à voir son enfant souffrir toute sa vie par manque de perspective.

Jusqu’à présent, faute d’avoir posé un diagnostic pertinent, personne n’a trouvé d’autre véritable solution à l’impact dévastateur des écrans, qui met en péril la survie même de notre société.

Si l’on superpose toutes les données du phénomène, on peut conclure que les écrans sont les nouveaux prédateurs de l’humanité !

[1] Voir l’enquête “Netflix” sur www.santepublique-editions.fr/Netflix.html

[2] L’actu, 6 février 2019, p. 5 : “Netflix, OCS… les plateformes de vidéos sur abonnement cartonnent” :
“Les 15-34 ans représentent les deux tiers des utilisateurs.”

[3] Marianne, numéro 1142, du 1^er au 7 février 2019 : “Ni au travail, ni à l’école, ni en formation : Génération sacrifiée, 2,85 millions de jeunes hors du système” (chiffres OCDE).

[4] Voir la page : http://www.santepublique-editions.fr/surveillance-massive.html

[5] Lire à ce sujet le chapitre 3 du livre La fée électricité d’Annie Lobé : “ ‘Cancérogènes possibles pour l’homme’ selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé)” et voir la vidéo “Comment les champs électromagnétiques favorisent le cancer et comment s’en protéger”.

[6] Lire l’article en ligne : http://www.santepublique-editions.fr/l-oms-declare-le-telephone-portable-cancerigene.html

[7] “À l’issue de leur scolarité à l’école primaire, on constate que 25 % des élèves ont des acquis fragiles et 15 % d’entre eux connaissent des difficultés sévères ou très sévères.” “Près de 20 % des élèves de quinze ans connaissent de grandes difficultés de maîtrise de la langue écrite. Entre 2000 et 2009, cette proportion a augmenté d’environ 30 %, passant de 15 % à 20 %.” In “Projet de loi pour la refondation de l’école”, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 19 mars 2013 et soumis au Sénat sous le n° 441, p. 42 § 12 et p. 41 § 8.

[8] BO Éducation nationale, hors série n° 3 du 19 juin 2008, apprentissages fondamentaux :
http://www.education.gouv.fr/bo/2008/hs3/apprentissages.htm
BO Éducation nationale, hors série n° 3 du 19 juin 2008, approfondissements :
http://www.education.gouv.fr/bo/2008/hs3/approndissements.htm
Les programmes de l'école élémentaire, juillet 2018 (ajustement des programmes 2015) :
http://www.education.gouv.fr/cid38/presentation-des-programmes-et-des-horaires-a-l-ecole-elementaire.html#Cycle_2_-_cycle_des_apprentissages_fondamentaux_CP_CE1_et_CE2

[9] Voir les suggestions de lecture dans le livre J’aide mes enfants à décrocher des écrans, au chapitre : “Que lire pour apprendre à aimer lire ?”

[10] L’homme nu, la dictature invisible du numérique, de Marc Dugain et Christophe Labbé, éditions Robert Laffont/Plon, Paris, 2016, p. 99-101.

[11] TV Lobotomie, de Michel Desmurget, éditions Max Lilo, 2011. J’ai lu, Paris 2013.

[12] Écouter à ce sujet le chapitre 5 du livre audio Les jeunes et le portable : Alzheimer à 35 ans ? citant les travaux du docteur Jay Giedd, de l’Institut national de la santé mentale de Bethesda (Marineland, USA)’: http://www.santepublique-editions.fr/videos-de-SantePublique-editions-Annie-Lobe-journaliste-scientifique-independante-c.html#maturite

[13] http://www.santepublique-editions.fr/videos-de-SantePublique-editions-Annie-Lobe-journaliste-scientifique-independante.html

[14] Lire le dossier Mécanisme d’action des ondes électromagnétiques sur les organismes vivants, par Annie Lobé.

[15] Voir les vidéos : “Le film qu’Orange ne veut pas que vous regardiez” et “Smartphones : ils émettent des salves de micro-ondes quand on fait défiler l’écran !”

[16] Écouter à ce sujet le CD audio La mélatonine et le sommeil et lire le chapitre 6 du livre La fée électricité : “La précieuse mélatonine” et voir la vidéo “Comment les champs électromagnétiques favorisent le cancer et comment s’en protéger”.

[17] Voir les publications de SantéPublique éditions sur le site www.santepublique-editions.fr

[18] Cnesco (2017). Comment agir plus efficacement face au décrochage scolaire ? Dossier de synthèse.
http://www.cnesco.fr/fr/decrochage-scolaire/
http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/12/171208_Dossier_Synthese_Decrochage_scolaire.pdf
http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/12/171208_Preconisations_Decrochage_scolaire.pdf

[19] Paris Match, numéro 3641, du 21 au 27 février 2019 : “Gala de la charte de Paris contre le cancer, le combat du Pr David Khayat” : “Le cancer est un fléau qui tue plus que le sida, plus que jamais nous avons besoin de vous !”

[20] Programme international pour le suivi des acquis des élèves de l’OCDE.

[21] Le coût d’État des gadgets sans fil, par Annie Lobé, 2013 (mise à jour 2014).

[22] Lire la lettre d’Annie Lobé à Vincent Peillon du 30 juillet 2013.

[23] Lire la lettre d’Annie Lobé à Benoît Hammon du 19 juin 2014.

[24] La lettre, n° 140, janvier 2019.