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Ce que les médias ne disent pas sur les dangers des portables
Six questions à Annie Lobé, éditeur et journaliste. 4 juillet 2008.
Les médias ont largement couvert le sujet des portables depuis quelques mois. Qu’en pensez-vous ?
En effet, chaque semaine, un journal traite le sujet. Mais en lisant les articles, je me suis rendu compte qu’ils ne disent pas l’essentiel. Contrairement aux apparences, les opérateurs de téléphonie mobile et les constructeurs de portables doivent se réjouir car les articles concluent que “Pour l’instant, rien n’est prouvé”. Si rien n’est prouvé, pourquoi changer ses habitudes ? Rien ne motive les lecteurs à suivre les recommandations simplistes fournies par les articles, dont certaines sont d’ailleurs de fausses solutions “pompées” sur Internet sans avoir été vérifiées.
L’idée que le portable est dangereux fait son chemin sans que cela ne diminue la consommation. Il se produit insidieusement le même phénomène que pour le tabagisme. Au lieu de protéger les consommateurs, les industriels, avec la complicité des pouvoirs publics et des médias, sont en train d’opérer un transfert de responsabilité vers leurs clients. Dangereux, le portable ? “Je sais”, répondent désormais de nombreux utilisateurs, y compris des femmes enceintes, qui continuent de garder le portable en veille en permanence dans la poche ou dans le sac, à côté de la tête de leurs enfants et de leurs propres centres vitaux que sont le cœur et les organes génitaux.
Approuvez-vous le conseil donné par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot : “Pas de portable avant l’entrée au collège” ?
Si les parents suivent ce conseil en équipant leurs enfants dès le collège, ces derniers courent le risque de devenir dépendants du portable. Donner un portable à un jeune de 11 à 25 ans, c’est l’inviter dans le cercle vicieux de la dépendance parce que son cerveau n’a pas encore atteint la maturité. Si le cerveau se forme et se développe dans un contexte de dépendance, elle devient permanente. Je ne compte plus le nombre de jeunes qui m’ont affirmé sans rire : “Je ne peux pas vivre sans mon portable.” Certains parents n’imaginent pas à quel point leurs enfants sont accros. Une jeune fille m’a avoué qu’elle dormait avec son portable en veille sous l’oreiller alors que sa mère est persuadée qu’il est éteint la nuit.
Le problème, c’est que la proximité permanente d’un portable en veille est tout sauf anodine. Des professeurs de lycée m’ont dit qu’ils devaient demander aux élèves d’éteindre leur portable pour pouvoir faire fonctionner un magnétophone : 25 à 30 portables en veille dans une salle de classe empêchent le fonctionnement de cet appareil. Les émissions électromagnétiques des portables en veille ne sont donc pas négligeables. Et les professeurs sont atterrés de constater que leurs élèves, à 16 ans, ont une capacité de concentration aussi courte que des enfants de 8 ans (20 minutes).
En Italie, le ministre de l’Éducation a interdit en mars 2007 l’introduction des portables dans tous les établissements par les élèves. En France, cette décision est laissée à la responsabilité du Chef d’établissement, qui bien souvent n’est pas en mesure de la faire respecter. L’un des effets archi-prouvés du portable dans la poche est de diminuer le nombre et la mobilité des spermatozoïdes. Si des mesures énergiques ne sont pas prises pour protéger la jeunesse, la “génération portable” sera une génération d’impuissants stériles.
Autre problème : les maladies neuro-dégénératives précoces pronostiquées par le seul chercheur à avoir mené une étude sur les effets de l’exposition au portable de cerveaux d’adolescents, Leif Salford, de l’université de Lund en Suède. Ses résultats sont présentés dans le livre Les jeunes et le portable: Alzheimer à 35 ans ? : selon lui, cette génération d’utilisateurs subira de telles maladies et un vieillissement prématuré.
Quant au professeur Pierre Aubineau, du CNRS de Bordeaux, il a montré que les portables endommagent les vaisseaux sanguins cérébraux, qui deviennent en quelque sorte poreux et laissent entrer dans le cerveau des substances toxiques. Un phénomène appelé ouverture de la barrière sang-cerveau. Parmi ces éléments toxiques, il peut y avoir des virus qui provoquent une méningite. Il suffit d’avoir rencontré une fois un enfant de 12 ans coincé dans un fauteuil roulant, les yeux dans le vague et totalement incapable de parler parce qu’il a eu une méningite à l’âge de 2 ans, pour savoir qu’une ouverture de la barrière sang-cerveau peut avoir des répercussions dramatiques.
L’émission Envoyé spécial diffusée le 8 mai 2008 et consacrée aux risques du portable pour les jeunes se terminait sur le cas douloureux de Clémence, atteinte à 15 ans d’une tumeur au cerveau, et qui laissait depuis trois ans son portable en veille sous l’oreiller. La responsabilité du portable est fortement suspectée par son père et par elle-même, en dépit du silence des médecins.
Les conséquences de l’utilisation du portable par les jeunes sont trop graves pour que l’on se contente de ce conseil d’attendre l’âge de 11 ans, 12 ans ou même 15 ans pour équiper un jeune d’un portable. Cette recommandation ne protège pas. Je peux dire que si les parents savaient 10 % de la vérité sur les portables, il ne voudraient pas et ne pourraient pas laisser leurs enfants les utiliser. Et si les jeunes étaient informés en temps utile, ils n’auraient pas envie d’avoir un portable.
Et le conseil de choisir un portable avec un faible DAS ?
C’est-à-dire d’acheter un nouveau portable ? Les constructeurs et les opérateurs doivent aimer cette suggestion ! La mesure du DAS, débit d’absorption spécifique, est censée donner une indication de l’énergie absorbée par le cerveau et par le corps pendant l’utilisation du portable. En 2002, à l’occasion d’un reportage pour France 2, j’ai pu voir le dispositif de mesure du DAS chez Supélec, l’École Supérieure d’Électricité, basée à Gif-sur-Yvette dans l’Essonne. Il s’agit d’une bassine en plastique (chez Supélec elle est noire, chez Sagem elle est blanche, d’après le récent reportage d’Envoyé Spécial mentionné plus haut) moulée en forme de demi-tête humaine couchée et remplie d’eau déminéralisée. Après avoir plaqué le portable à pleine puissance sous ce qui figure l’oreille, on descend dans l’eau une sonde de température. C’est donc ainsi, en plongeant un thermomètre dans une bassine d’eau, que des ingénieurs prétendent quantifier l’absorption des ondes par le cerveau humain. Qui commande la mesure du DAS ? Un constructeur ou un opérateur. Qui reçoit le résultat ? Le même constructeur ou opérateur. Qui communique le résultat au public ? Toujours le même constructeur ou opérateur. Il n’y a aucun contrôle extérieur indépendant.
Quand je réalise des tests de portables pendant les conférences, avec des instruments de mesure, il arrive souvent que des utilisateurs soient surpris de constater les fortes émissions de leur portable, pourtant choisi “parce qu’il a un faible DAS”. Il est exact que tous les portables n’émettent pas à la même puissance. Mais si les constructeurs savent fabriquer des portables qui émettent moins que d’autres, pourquoi ne commercialisent-ils pas exclusivement ces modèles ?
Vous avez mis en ligne un test sur l’exposition aux ondes. Mais les symptômes cités peuvent être rapportés à d’autres causes que les portables…
Ce test est construit à partir du questionnaire d’enquête du professeur Roger Santini, de l’INSA de Lyon, qui a publié plusieurs études sur l’état de santé des riverains d’antennes-relais de téléphonie mobile. Sur une cinquantaine de personnes aux styles de vie différents, ce test a montré que le nombre de symptômes est systématiquement corrélé avec l’exposition électromagnétique globale, incluant les appareils électriques. Et ce, quel que soit l’âge. Si vous n’y croyez pas, proposez à une dizaine de personnes autour de vous de faire ce test. Vous pourrez juger par vous-même.
Alors, que peut-on faire pour se protéger ?
Mettre en pratique les conseils donnés dans mes livres. Je reçois des lettres de lecteurs et de lectrices qui l’ont fait, y compris des journalistes qui n’ont pas publié d’article sur la question… Quant à ceux qui publient des articles, ils interviewent toujours les mêmes personnes. Voilà bientôt six mois que ressort en boucle l’étude du professeur Gérard Ledoigt sur les tomates, comme si c’était la seule étude montrant la nocivité des portables.
Si vous analysez le discours des opposants aux antennes-relais auxquels les médias donnent la parole, vous vous apercevrez qu’ils ne sont pas contre la téléphonie mobile. Ils disent qu’elle pourrait être compatible avec la santé humaine et préconisent d’augmenter le nombre d’antennes-relais pour en diminuer la puissance. Cette position démontre une méconnaissance totale du fonctionnement technologique de la téléphonie mobile, basé sur le “contrôle dynamique de puissance”.
La portée des micro-ondes émises par une antenne est de vingt à trente kilomètres. Elles traversent les murs et se réfléchissent sur les éléments métalliques. En ville, ce n’est pas parce que les opérateurs installent des antennes tous les 300 mètres que les micro-ondes s’arrêtent à 300 mètres. Plus il y a d’antennes, plus nous sommes tous soumis, nuit et jour, à un grand nombre de fréquences différentes. Chaque antenne ne peut acheminer qu’un nombre limité de communications. Donc, plus il y a de portables en circulation, plus le nombre d’antennes augmente car elles sont indispensables à leur fonctionnement. Et plus il y a de portables en veille ou en communication dans un lieu donné, plus la puissance d’émission des antennes augmente. J’ai constaté, sur un marché dominical en plein Paris, que le niveau ambiant de micro-ondes est nettement plus élevé vers midi, lorsque le marché bat son plein et que le nombre de portables est important.
Il faut que les personnes malades à cause des antennes sachent que leur propre téléphone portable, si elles en ont un, “active” ces antennes en permanence, et que les effets des différents types d’ondes sont cumulatifs : wifi, téléphone sans fil d’intérieur DECT, souris et clavier sans fil, télévision, ordinateur, radioréveil, etc.
Et il faut aussi que ceux qui font usage d’un téléphone portable sachent que des gens sont malades et meurent sous les antennes et en face d’elles. La gravité des troubles est corrélée avec la proximité, mais aussi avec la durée d’exposition. Ceux qui restent chez eux toute la journée sont plus touchés que ceux qui travaillent à l’extérieur. Et si ces derniers sont aussi exposés sur leur lieu de travail, ils manifestent également des troubles.
Préconisez-vous l’arrêt du portable ?
Après avoir recueilli des centaines de témoignages et lu des milliers d’études, je partage le point de vue du professeur Olle Johansson, de l’Institut Karolinska à Stockholm : “Nous en savons déjà assez pour tout arrêter.”
Si l’on se réfère au cas de l’amiante, son usage “raisonné” a été l’argument mis en avant par des chercheurs payés par l’industrie pour retarder de vingt ans son interdiction en France, avec les conséquences que l’on sait : des dizaines de milliers de victimes mortes dans d’atroces souffrances. Mais le délai avant l’apparition des maladies mortelles était de plusieurs dizaines d’années et les personnes exposées étaient des professionnels adultes.
Dans le cas de la téléphonie mobile, les bébés in utero sont exposés aux portables de leurs parents car les micro-ondes traversent la peau, les écoliers sont soumis aux antennes-relais, car la quasi-totalité des écoles maternelles et primaires ont des antennes-relais à moins de 300 mètres, et les adolescents ont le portable dans la poche en permanence.
Les antennes-relais ne sont pas implantées que sur les toits des habitations. Elles sont aussi sur les toits des hôpitaux, sur les quais des stations de métro et de RER, le long des routes et des autoroutes, sur les plages et sur les flancs de montagnes. Dans les véhicules particuliers et les transports en commun, les micro-ondes émises par les portables des usagers se réfléchissent sur les parois métalliques. C’est pourquoi la chaleur, aux heures de pointe, y est de plus en plus difficile à supporter. La téléphonie mobile passe partout. Personne n’est à l’abri. Et l’hécatombe a déjà commencé.
Cancérologues en exercice, cardiologues, oto-rhino-laryngologistes, neurochirurgiens : une partie du milieu médical et hospitalier observe et constate, mais… oublie de publier ces cas dans des revues scientifiques. Les opérateurs de téléphonie mobile savent que les gens sont malades car ils ont déjà reçu des milliers de lettres. Quant à ceux qui travaillent pour eux, si certains trouvent normal de gagner leur vie en prenant celle des autres, il y en a aussi qui ont claqué la porte, complètement dégoûtés par ce qu’ils ont vu.
Pour une personne touchée qui identifie la cause de ses maux, combien d’autres sont malades des ondes à leur insu ? Combien sont décédées des suites de leurs maladies : cancer, infarctus, accident vasculaire cérébral, dépression… Ces maladies causées ou aggravées par notre exposition de plusieurs décennies aux appareils électriques ont déjà fait un grand nombre de victimes. Avec les appareils sans fil, elles nous tuent de plus en plus jeunes.
Si nous n’arrêtons pas le portable, c’est lui qui nous arrêtera.
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